Thérapie visuelle des dysfonctionnements de la vision binoculaire : Quels outils à notre disposition ?

                                                                                                                                                                 Par Isabelle Guichard             Orthoptiste et étudiante du Cours d’Expert en Thérapie Visuelle 

Résumé

 

Rééducation orthoptique, thérapie visuelle, entraînement visio-moteur, des termes différents pour une même finalité, améliorer la fonction visuelle que cela soit une dysfonction monoculaire, d’organisation des 2 yeux ou encore dans la mise en œuvre de la vision dans l’activité. Cet article traite des méthodes et outils utilisables dans la prise en charge des troubles non tropique de la vision binoculaire. Les exemples cités n’ont pas vocation à être une liste exhaustive.

Mots clés : vision binoculaire, Amplitude de fusion, Déséquilibre binoculaire, Accommodation, Orientation du regard, Rééducation orthoptique, Thérapie visuelle, Entraînement visuo-moteur, Matériels.

La prise en charge orthoptique

La rééducation orthoptique, encore appelée entrainement visuo-moteur ou thérapie visuelle, a pour objectif d’améliorer les capacités visuelles des patients, pour ainsi restituer leur autonomie et améliorer leur qualité de vie. Le projet de soin sera construit et réévalué en fonction du bilan orthoptique initial, des plaintes et des besoins du patient.

 

La prise en charge rééducative des troubles de la vision binoculaire s’attachera à :

 

  • – Lutter contre la suppression centrale,
  • – Améliorer les réserves fusionnelles et de l’accommodation relative,
  • – Normaliser la relation accommodation/convergence,
  • – Optimiser l’orientation et la stabilisation du regard.

Avant toute prise en charge, le patient devra porter la correction optique emmétropisante la plus convexe, si nécessaire une compensation prismatique et/ou une addition. En cas d’amblyopie, celle-ci devra être traitée. 

Les outils et méthodes

Classiquement, les exercices de prise en charges de la vision binoculaire sont classés en deux catégories. Ceux dits « dans l’espace » et les exercices fait dans des conditions dites « artificielles » à l’aide d’instruments. Selon SCHEIMAN & WICK (2020), cette catégorisation est une division qui ne permet pas de classer toutes les méthodes et tous les outils de rééducation dans ces deux catégories. Ils recommandent alors une classification sur le type de matériel. Leur classification est la suivante :

 

  1. – Filtres anaglyphes et polarisés.
  2. – Verres, prismes et miroirs.
  3. – Spetum et fenêtres.
  4. – Exercices papier/stylo et autres.
  5. – Stéréoscopes.
  6.  

Une 6e catégorie est proposée, elle regroupe les techniques de prises en charge de la fixation excentrique, correspondance rétinienne anormale, strabisme constant et nystagmus. Ces techniques ont été abandonnées en France, car jugées délétères pour les patients car elles provoquaient des diplopies incoercibles. Elles ne seront donc pas développées dans cet article.

 

Figure 1. Classification selon SCHEIMAN & WICK (2020).

Le rééducateur a à sa disposition une multitude de matériel très varié afin d’aider les patients à améliorer leur performance visuelle. La figure 2 liste une partie des multiples outils et procédures de thérapie visuelle en suivant la classification selon SCHEIMAN & WICK (2020).

Figure 2. Classification des procédures et instruments pour la thérapie visuelle selon SCHEIMAN & WICK (2020).

Les filtres anaglyphes et polarisés

  • En cas de troubles de décompensation de l’hétérophorie ou des capacités fusionnelles, les exercices avec filtres ont pour objectifs de :
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  • – Augmenter les amplitudes de fusion négative (divergence) et positives (convergence),
  • – Diminuer la latence de la réponse fusionnelle,
  • – Augmenter la vitesse de la réponse fusionnelle.
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Les vectogrammes sont des stéréogrammes pour lesquels la dissociation des deux yeux se fait par des filtres polarisés. Quant aux anaglyphes la dissociation des deux yeux se fait par des filtres rouge/vert ou rouge/bleu. Ils peuvent être « fixe » ou « variable ». Ils peuvent être également utilisé en cas de neutralisation peu profondes à modérées.

 

La difficulté peut être augmentée, par exemple en demandant au patient de passer de près à loin, en rompant la fusion, en ajoutant des verres pour changer la demande accommodative, ou encore des prismes. L’utilisation d’un pointeur accroisse la difficulté également.

 

 

Figure 3. Exemple d’anaglyphe variable. Image de courtoisie Bernell.

 

 

Figure 4. Exemple de vectogramme variable. Image de courtoisie Bernell

Il existe également ce type d’exercice sur ordinateur, casque de réalité virtuelle ou en réalité augmentée. La gamification apportée par ces logiciels constitue une voie intéressante, innovante et ludique pour impliquer le patient dans son processus de soins.

Le Red-Red Rock, utilisé pour la prise en charge des troubles accommodatifs, il est basé sur le principe de la fixation monoculaire dans un champ binoculaire. C’est-à-dire que l’utilisation de lunettes anaglyphes permet aux deux yeux de voir en même temps mais un seul œil peut percevoir la cible centrale. Des verres allant de +2.50 à -6.00 seront ajoutés pour augmenter la difficulté.

 

 

Figure 5. Dispositif Red-Red Rock. Image de courtoisie Good-Lite.

Dans le traitement de la suppression, l’utilisation d’exercices avec filtres est aussi possible tels que les barres de lecture, le TV trainer, les cahiers de Weiss, permettent de diminuer la profondeur et la fréquence de la suppression.

 

 

Figure 6. Dispositif TV Trainer et barre de lecture. Image de courtoisie Bernell.

  • Les verres
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  • Les verres sont utilisables en monoculaire et en binoculaire. L’objectif est d’augmenter les capacités accommodatives que cela soit dans la mise en œuvre ou dans le relâchement, les facilités et la rapidité des réponses. Il faut tenir compte de l’âge du patient, les amplitudes accommodatives diminuant avec l’âge.
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Figure 7. Dispositifs avec verres de différentes puissances, binoculaires et monoculaires. Image de courtoisie Bernell.

 

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  • Les prismes
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L’utilisation et les supports de présentation des prismes sont variés. La barre de prisme n’est plus à présenter. Mais il existe également des prismes isolés, des prismes montés sur des faces à retournement, sur monture. Ils peuvent donc être utiliser pour travailler en progression fluide, ou sautée pour augmenter les facilités de fusion. Les prismes isolés peuvent être utilisés en monoculaire, pour développer les performances oculomotrices et la vitesse des saccades. En effet, à l’interposition d’un prisme une saccade est nécessaire pour récupérer une fixation fovéolaire.

 

Leur utilisation est aisée avec tout support : mire tonique, accommodative, lecture, ou encore avec les autres outils de rééducation comme la corde de Brock, les anaglyphes, vectogrammes.

 

Pour le traitement des suppressions modérées à fortes, la technique de la dissociation par prisme vertical (6 à 8d) placé devant l’œil dominant, permet de créer une diplopie et ainsi stimuler l’œil dominé.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Figure 8. Boite de prismes isolés. Image de courtoisie orthoptix.fr.

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  • Les dispositifs à miroir
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Ils sont utiles lorsque le patient présente une suppression trop importante pour travailler sur les autres dispositifs. L’équipement est composé d’un petit miroir qui sera placé à 45° devant un œil, et de deux cibles qui se complètent (1er ou 2nd degré) placées perpendiculairement. Le patient doit pouvoir superposer les deux cibles.

 

 

Figure 9. Dispositif à miroir et exemples de cibles. SCHEIMAN & WICK (2020) p192-193

Règle à ouverture

 

Aussi appelé stéréoscope à fenêtre, le dispositif ne requiert pas d’artifice optique pour aider à la fusion (bien que cela soit possible d’augmenter la difficulté en utilisant des prismes ou des verres). Les capacités de fusion doivent être suffisantes car l’exercice est plus difficile que les anaglyphes et vectogrammes ou encore les stéréoscopes de Brewster. La règle à ouverture est un bon intermédiaire entre ces dispositifs et les stéréogrammes dans l’espace.

 

Les fenêtres « guident les yeux » pour aider à la convergence (1 fenêtre, fusion dite chiastopique : l’œil droit fixe l’image de gauche et inversement) et à la divergence (2 fenêtres, fusion dite orthopique : l’œil droit fixe l’image de droite et inversement).

 

 

Figure 10. Règle à ouverture. Image de courtoisie Promocion optometrica.

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  • Séparateur de Remy
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Le dispositif type séparateur de Remy a pour objectif de développer les capacités de fusion en divergence. Plus difficile que les anaglyphes et vectogrammes, il est une bonne introduction à la règle à ouverture. Peu onéreux, il suffit d’une carte qui fera office de septum et d’un stéréogramme dans l’espace.

 

 

Figure 11. Dispositif type séparateur de Remy avec spetum et stéréogrammes dans l’espace Lifesaver. SCHEIMAN & WICK (2020) p170.

Convergence volontaire

 

La corde de Brock, Eyeport, Dip-Phy ou encore cartes de Barrel ou à 3 points permettent de développer les capacités de convergence volontaire, de travailler dans l’espace et en dynamique. Le patient prend également conscience de la diplopie physiologique.

 

 

 

 

 

 

 

 

Figure 12. Planche oculaire de type carte de Barrel. Image de courtoisie Posturoshop.

 

 

Stéréogrammes dans l’espace

 

Basés sur la disparité de fixation afin de créer une image 3D de deux images similaires, ils permettent de développer les capacités vergentielles, en contrôlant l’accommodation et de travailler l’endurance. Il existe de nombreux types de stéréogrammes : simple asymétrique, accommodatif, troué, transparent, autostéréogramme.

 

 

Figure 13. Stéréogramme type cercle excentriques Image de courtoisie Marie Bouis.

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  • Hart chart
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Les échelles Hart chart permettent de développer les amplitudes et facilités accommodatives. Elles peuvent également permettre d’améliorer la précision des saccades.

 

 

Figure 14. Travail des facilités accommodative avec des échelles Hart chart. SCHEIMAN & WICK (2020) p205.

  • Stéréoscopes de Brewster
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Le dispositif se compose d’un septum séparant l’espace visuel ainsi que de stéréoprismes de +5.00D induisant un effet prismatique base externe. Une grande variété de cartes sont disponibles. La distance de présentation des cartes permet de faire varier la demande vergentielle et accommodative. En rapprochant la carte, la divergence relative et l’accommodation relative positive sont entrainés (patient esophore). En éloignant la carte, c’est cette fois-ci la convergence relative et l’accommodation relative négative qui sont entrainés (patient exophore).

 

Il permet aussi de travailler sur la suppression, mais également la coordination œil-main car certaines cartes permettent de dessiner.

 

Cherioscope

 

  • Le cherioscope peut être utilisé pour le diagnostic et le traitement de la vision binoculaire et de la suppression. Le patient doit reproduire la mire perçue à travers le dispositif, la rétroaction étant importante, l’entraînement au cheiroscope lui permet de mieux contrôler sa phorie mais également de prendre conscience de la suppression et de l’éliminer.

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Stéréoscope de Wheatstone

 

Les stéréoscopes de Wheatstone sont des stéréoscopes à miroirs, la variété de mires permet de maintenir la motivation du patient lors de la prise en charge rééducative.

Le synoptophore (aussi appelé amblyoscope) est une variante de stéréoscope à miroirs, il permet d’étudier et de traiter la vision binoculaire. Il est très utilisé en France, mais il présente comme inconvénients d’avoir un champ de vision réduit, de stimuler la convergence proximale et de mettre dans des conditions visuelles artificielles.

 

 

Figure 15. Dispositifs type stéréoscopes. Image de courtoisie Bernell

D’autres supports non développés ici sont encore à disposition du professionnel de santé spécialisé dans la thérapie visuelle. La multitude des outils et techniques permet au rééducateur de choisir et d’adapter ses prises en charge afin de développer les compétences de son patient et de garder sa motivation.

Allary, J-C. (2018). Réfraction oculaire et vision binoculaire. Edition Lavoisier.

 

Berthoz A. (1987). Le sens du mouvement. Edition Odile Jacob.

 

Clenet, M-F. & Hervault, C. (2014). Le guide de l’Orthoptie. Edition Elsevier Masson.

 

Denis, D., Bui Quoc, E. & Aziz-Alessi, A. (2017). Rapport de la SFO 2017 : ophtalmologie pédiatrique. Edition Elsevier Masson.

 

Hugonnier, R. & Hugonnier, S. (1981). Strabismes 4e édition. Edition Masson.

 

Jeanrot, N. & Ducret, V. (2018). Manuel de Strabologie. 4e édition. Edition Elsevier Masson.

 

Pechereau, A., Denis, D. & Speeg Chatz, C. (2013). Rapport de la SFO 2013 : strabisme. Edition Elsevier Masson.

 

Santallier, M., Perchereau, A. & Arsene, S. (2012). Motricité et sensorialité oculaire : l’examen. Edition S-éditions.

 

Sheiman, M. & Wick, B. (2020) Clinical Management of Binocular Vision.

 

Heterophoric, Accommodative, and Eye Movement Disorders. 5e édition. Edition Wolters Kluwer.