La Coordimètrie un allié pour l’étude des déséquilibres oculomoteurs

                                                                                                                                                                                 Par Léa Bouga

                   Orthoptiste et étudiante du Cours d’Expert en Thérapie Visuelle 

1. Définition et présentation

« Le Coordimètre est un appareillage haplo-scopique servant à l’étude de la motilité oculaire et à la mesure de la déviation strabique selon les directions du regard »

 

(Dictionnaire médical de l’Académie de Médecine, 2023).

 

Le Coordimètre a été créé en 1909 par le Dr. Hess, figure 1 (le patient portait des filtres R/V complémentaires, il y avait un tableau noir de 80 cm de côté avec une projection de Mercator (division par méridiens et parallèles) matérialisés en rouge et tiens une baguette de 50cm munie d’un index vert à superposer successivement).

 

Au gré d’améliorations est né le HESS-LESS, figure 2 (deux écrans placés à 90° optiquement confondus grâce à un miroir, un écran avec les points cardinaux et le patient superpose les points avec l’extrémité d’une baguette) puis le HESS-LANCASTER, figure 3 (le patient portait des filtres R/V complémentaires associé à deux torches lumineuses R/V, l’examinateur place la torche verte sur les points cardinaux et le patient les superpose en plaçant la torche rouge).

 

 

Nous étudierons ici plus précisément le dernier dispositif coordimétrique à savoir le HESS-WEISS.

Composé de deux parties : la forme libre où la vision binoculaire est dissociée et la forme à choix où la fusion et l’accommodation sont sollicitées, figure 4.

 

 

Il est le plus simple et rapide de passation, en conditions lumineuses courantes la coopération du patient est moindre. Il permet une étude qualitative des muscles oculomoteurs et quantitative des déviations.

 

Il est constitué d’un écran blanc recto verso pour chaque forme, de 70 cm de côté avec quadrillage orange sur lequel sont représentés deux carrés, un de 20 cm de côté centrés sur le centre de l’écran noté 0 pour la position primaire et l’autre de 40 cm, avec  les autres positions cardinales du regard numérotées de 1 à 8.

 

Cela correspond à deux niveaux d’excentration du regard. Et permet l’étude des actions primaires et secondaires des muscles, figure 5.

 

 

Le pas du quadrillage est de 2,5 cm pour 5 dioptries prismatiques.

 

NB : pour la forme à choix multiple chaque carré contient un point noir en son centre.

 

La distance d’examen est à 50 cm. La tête du patient est fixe, avec l’utilisation d’une mentonnière (passation reproductible).

 

Passation :

Le patient porte des filtres R/V : le filtre rouge est placé sur l’œil droit qui ne voit que la lumière rouge et le rend œil localisateur, le filtre vert est placé sur l’œil gauche qui voit uniquement le quadrillage et est l’œil fixateur.

 

Pour changer d’œil localisateur on inverse les filtres.

 

On utilise une torche rouge qui produit un V telle la tête d’une flèche que le patient doit placer sur le rond du numéro demandé.

 

Le relevé des réponses du patient est porté sur un graphique avec quatre schémas (un pour chaque œil) et un par forme par l’examinateur au fur et à mesure.

 

Le coté rempli correspond toujours à l’œil qui localise, aussi lorsque le verre rouge est à droite, il remplit le schéma de droite et inversement, figure 6.

 

 

2. Intérêts et principe

Dans un bilan orthoptique on va étudier l’équilibre sensoriel et moteur du patient et ce afin de déterminer s’il présente ou non un trouble de la vision binoculaire.

 

On va utiliser des méthodes objectives et/ou subjectives :

 

– État sensoriel : étude de la fixation, des 3 niveaux de la vision binoculaire (perception simultanée, fusion, vision stéréoscopique), l’accommodation.

 

  • – État moteur : motilité, examen sous écran pour déterminer une éventuelle déviation.
  •  

L’examen coordimétrique va s’insérer dans ce bilan tel un allié comme un outil diagnostic.

 

En effet seul, sans ces données préalables il n’aura aucune valeur.

 

Le patient doit être en correspondance rétinienne normale et porter sa correction optique.

La vision binoculaire est dissociée (présentation de deux tests différents) à l’aide de filtres rouge/vert (R/V) et utilisant le principe de confusion. C’est à dire qu’on utilise la relation fovéa/fovéa, la fixation fovéolaire est donc indispensable.

 

Il est aussi utilisé dans le cadre de l’étude des paralysies oculomotrices.

 

A noter cependant qu’en cas de neutralisation, malvoyance, amblyopie sévère, nystagmus, CRA (correspondance rétinienne anormale) et daltonisme cet examen n’est pas réalisable.

 

3. Interprétation

Les muscles sont régis par les lois d’innervation d’Hering « Dans tout mouvement binoculaire de version, l’influx nerveux est envoyé en quantité égale aux muscles concernés des deux yeux. La vergence est régie par un mécanisme d’action différent » et de Sherrington « Quand un muscle se contracte, le muscle ayant une action opposée (antagoniste) se relâche ».

 

L’étude du schéma coordimétrique associée à l’examen clinique réalisé lors du bilan orthoptique permet de déterminer :

 

– l’œil atteint qui aura le schéma le plus petit et nous renseigne sur la déviation primaire lorsque l’œil sain est fixateur.

 

Dans le cadre de la détection d’une paralysie :

 

– Le muscle atteint sera montré en avant du point du numéro demandé, ce muscle est dit en hypoaction.

 

– Le muscle hyperactif, montré en arrière du point du numéro demandé est dans le champ d’action du muscle antagoniste homolatéral.

 

– On observe la déviation secondaire, carré plus grand lorsque l’œil atteint fixe, qui montre l’hyperaction du muscle synergiste controlatéral et une hypo-action du muscle l’antagoniste controlatéral.

 

Pour déterminer la valeur de la déviation en dioptries, il suffit de multiplier par cinq le nombre de carrés en décalage que ce soit horizontal ou vertical avec le schéma original orange qui signifie une rectitude.

 

4. Cas étudiés en cours : les syndromes de Brown et de Stilling Duane.

Le syndrome de Brown

Assez fréquent d’origine congénital. Il relève d’une anomalie au niveau du muscle oblique inferieur.

 

Bilan orthoptique :

  • – Motilité : limitation de l’élévation en adduction de l’œil atteint et présence d’un syndrome V.
  •  
  • – Sensoriel : la vision binoculaire est bonne car le sujet évite la diplopie par une attitude compensatrice, torticolis menton levé tête inclinée du coté atteint. Pas d’amblyopie sauf si présence d’un strabisme.
  •  
  • – Moteur : de l’orthophorie à l’hypotropie de l’œil atteint.
  •  

Pour étudier ce syndrome et faire le diagnostic différentiel avec la paralysie de l’oblique inferieur (paralysie de la 3e paire crânienne) ou la paralysie unilatérale des élévateurs et avant toute exploration plus invasive.

 

L’examen coordimétrique apparait comme un atout, car caractéristique pour ce syndrome figure 7.

 

Elle confirme les données cliniques :

 

–  Hypoaction de l’oblique inférieure de l’œil atteint

–  Hyperaction +/- marquée du droit supérieur controlatéral

–  Absence d’hyperaction de l’oblique supérieur homolatérale

–  Absence d’hypoaction de l’antagoniste controlatéral (droit inférieur).

–  Normalité de chaque œil dans le champ inférieur.

 

Le syndrome de Stilling Duane

 

Syndrome congénital dit de rétraction lié à une fibrose du muscle droit latéral par agénésie du noyau de la 6e paire crânienne, souvent associé à d’autres pathologies. On étudiera ici le Type 1 (plus fréquent).

 

Bilan orthoptique :

 

  • Motilité : limitation de l’abduction de l’œil atteint, rétraction du globe oculaire avec rétrécissement de la fente palpébrale. L’œil ne dépasse pas la ligne médiane.
  •  
  • Sensoriel : la vision binoculaire est bonne en position primaire ou dans l’attitude compensatrice, torticolis
  •  
  • Moteur : ortho/ésophorie ou ésotropie.
  •  

Pour faire le diagnostic différentiel avec la paralysie de la 6e paire crânienne, le coordimètre est aussi indiqué, figure 8.

 

 

On retrouve :

 

– Hypo-action du droit latéral gauche.

– Hypo-action du droit médial gauche ainsi qu’une élévation de cet œil en adduction.

– Pas d’hyperaction du droit médial homolatéral.

5. Conclusion

Le coordimètre sait se faire apprécier en complément d’un examen clinique et permet une analyse plus marquée d’un état oculomoteur.

 

Il a bien d’autres utilisations telles que la pratique d’un champ de fusion, la réalisation de la manœuvre de Bielchowsky ou la stimulation périphérique dans les troubles vestibulaires.

 

Pour aller encore plus loin c’est l’imagerie médicale qui permettra de conclure avec certitude les hypothèses trouvées au bilan orthoptique et confirmées au coordimètre.

Académie de Médecine. (2023). Coordimètre. Dans Dictionnaire médical de l’Académie de Médecine. Consulté le 28 février 2023 sur https://www.academie-medecine.fr/le-dictionnaire/index.php?q=coordim%C3%A8tre

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